Un rapport du médecin des épidémies de l’arrondissement de Prades, le docteur Barrera, daté de septembre 1849, fait une saisissante description de l’épidémie qui a touché le village et, par la même occasion, il nous livre des descriptions très intéressantes sur sa manière de voir la vie matérielle de la commune, ses commentaires sur l’hygiène et le mode de vie de la communauté villageoise. Dans une écriture d’un style plus ancien (les f à la place des s, par exemple, une orthographe qui ne met pas de t finaux à de nombreux mots), le Dr Barrere fait un point sur la situation et exprime les choix thérapeutiques à réaliser selon lui.

Le document est conservé aux archives départementales, 5 M 101 , commissions d’hygiène 1849-1850

Les commissions de sanitaires des arrondissements de Céret et de Prades ont été réorganisées à la fin de 1848 par le préfet, dans ce qui est la nouvelle république en pleine organisation institutionnelle. Ce rapport reste assez caractéristique des interventions des commissions sanitaires qui défendent systématiquement la prophylaxie des lieux publics, l’hygiène, les difficultés de l’investissement public etc.¹

Voici le texte transcrit dans son intégralité

Rapport sur l’épidémie de fièvres muqueuses malignes qui règne à Sauto, canton de Mont-Louis, septembre 1849.

Le médecin des épidémies de l’arrondissement de Prades,

à Monsieur le Sous préfet de ce même arrondissement

Monsieur,

            Sur l’invitation que vous m’en donniez par votre lettre du 23 du présent mois², je me transportai le 26 en la commune de Sauto, située à une lieu environ à l’est du Montlouis, sur le versant méridional des 3/4 supérieur du monticule schisteux qui sépare le haut Conflent du Capcir.

            Dès mon arrivée je vis M. le maire de même que quelques notables qui m’instruirent du mauvais état sanitaire de leur localité, et conduit par M. Py, officier de Santé résidant à Mont-Louis, lequel donne journellement ses soins aux malades de ce village trop peu important pour avoir un praticien parmi ses habitants; nous visitâmes les soir de ce jour, ainsi que le lendemain matin, 22 personnes de tous âges et de sexes divers, plus 5 à 6 convalescens (sic), répartis en douze maisons sur 36 dont il se compose, et qui  malgré la grande élévation où il se trouve perché, ne possède pout tous les besoins de ses habitants que l’eau d’un seul bassin, fort mal tenu et qui a été presque à sec la plus grande partie de cet été.

            En parcourant les logements, nous recherchions les causes d’insalubrité qui ont pu engendrer l’affection morbide qui afflige cette population, le caractère qu’elle revêt, la méthode thérapeutique la plus convenable à sa curation les moyens d’en empêcher l’extension et je viens ici, M le sous préfet, vous rendre compte de mes investigations et de mes propositions à ce sujet.

De mémoire d’homme, on n’avait observé en la commune de Sauto aucune espèce de maladie aussi généralement répandue que celle qui y sévit au moment actuel, il n’existe pourtant aucun point des cantons limitrophes, aucune espèces d’épidémie; la cause de celle cy doit donc être toute locale. Les habitans de ce lieu fort peu aisé, pour la plupart sont tous cultivateurs, tous vivent à peu près de la même manière, se nourrissent d’alimens grossiers et féculens; tous possèdent des bestiaux qu’ils tiennent dans des rez de chaussée où ils amoncèlent beaucoup de fumiers et dont ils habitent les appartements supérieurs, d’ordinaire peu espacés, souvent mal aérés et encombrés de divers ustensiles de ménage.

            Ces causes d’insalubrité qui dans les pays froids influencent puissamment sur le développement des maladies par l’effet de l’inactivité ou se tiennent les personnes qui l’habitent dans la saison hyvernale, ne peut avoir sur elle le même degré d’activité dans labelle saison par que le nombre de bestiaux qu’ils gardent en leur maison est rien moins considérable que dans le restant de l’année, parce qu’ils n’ont alors déjà enlevé une partie des engrais et que les travaux des champs les retiennent hors de leur domicile presque tout le jour, et que l’exercice et le mouvement favorisent et aident à de bonnes digestions; mais par cela même, qu’ils ont respiré toute la journée un air pu et sain, ils ont plus fortement impressionnés la nuit par les émanations des matières végétales en décomposition qu’ils retrouvent en leurs logements, ce qui les énerve et les débilite dans une telle prédisposition si l’organisme est soumis à une nouvelle cause efficient de maladie, nul doute qu’elle ne pourra y résister, et c”es ce qui est arrivé à Sauto.

            Ainsi que je l’ai dit cy avant, cette commune ne possède pour ses besoins particuliers et la boisson de ses habitants que l’eau d’un bassin unique, de un mètre cinquante de circonférence, sur une profondeur à peu près égale, il est recouvert par une voute ne maçonnerie et sur un des cotés, a une ouverture large et béante sans fermeture, l’eau de ce bassin s’élève rarement au niveau de la dite ouverture destinée à lui servir de déversoir , mais elle a été si peu abondante dans le cours de l’été dernier que chaque particulier venait plonger son vase dans le bassin même, pour le remplir. La malpropreté de ces vases, les oscillations imprimées par lui au liquide contenu dans cet espèce de réservoir, en rendaient l’eau fréquemment sale, trouble et bourbeuse, et c’est à l’usage de cette boissons de difficile digestion que la misère de nombre d’habitants a privée de couper avec un peu de vin, qu’on attribue généralement la calamité qui s’est appesantie sur sa population. cette eau cuit cependant les légumes et disfont le savon, mais la répugnance avec laquelle nombre de personnes s’en servaient a affaibli leur capacité digestives, a appauvri leur sang et les a par la disposées aux affections gastriques dans une telle prédisposition maladive l’état particulier de l’atmosphère dont les perturbations et les variations ont été extrêmement fréquentes au commencement de l’été a inévitablement exercé sur elle son influence maligne et donné naissance à l’épidémie dont elles sont affligées.

            Parmi les malades que j’ai visités à Sauto, dont 10 garçons ou filles au des tours de 10 ans, 6 de 10 à 20, autres 6 adultes hommes ou femmes de 20 à 40. Sur ce total, 7 se trouvaient dans la première période de leur maladie et présentaient des symptômes plus ou moins graves; 10 de la 2 à la 3, sur lesquels j’en pourrait citer 4 qui laissent peu d’espoir pour la conservation de leurs jours; et 5 dans une convalescence plus ou moins avancée. On a, en outre, compté depuis l’apparition de la maladie qui remonte au commencement de septembre, 4 à 5 guérisons parfaites et 3 décès, dont deux d’adultes et un d’enfant, ce qui élève le total des personnes atteintes jusqu’ici de cette affecte à un trentaine ou 1/4 de la population. Toute porte à croire qu’elle est maintenant à son apogée qu’elle déclinera et perdra de son acuité, dès que cessera la sécheresse qui règne en cette contrée.

            Après quelques prodromes plus ou moins caractérisés, la perte de l’appétit, des lassitudes, des douleurs vagues, prodromes dont la durée a été variables, tous les malades en général on ressenti un frisson suivi d’un accès de fièvre avec céphalogie frontale gravative, tous ont éprouvé des vertiges, se plaignaient des douleurs aigues au ventre et à l’estomac, très souvent de la diarrhée, plusieurs ont eu des vomissements de matière bilieuses  ou simplement muqueuses. Dès les premiers jours, leur face était animée, leurs yeux larmoyants, fixes et immobiles exprimaient la stupeur et la souffrance, leur langue était blanche ou jaunâtre revêtue d’un enduit comme poisseux, (illisible) rouge à ses bordes, les gencives gonflées, se recouvraient bientôt après une exsudation blanchâtre pultacée.

            Le pouls parfois fort et accéléré se faisait remarquer dans d’autres cas, par un abaissement qui différait peu de celui en santé; la chaleur de la peau était intense et aride et néanmoins la soif modérée. Cet état se prolongeait un septénaire environ la phlegmasies gastro intestinale perdait de sa gravité ou acquérait de l’intensité, suivant les effets obtenus de la médication. Si celle cy parvenait à l’enrayer, la langue humectait, la diarrhée diminuait petit à petit , le brisement des membres se dispersait et la maladie se terminait ver la fin du 2e septénaire, sans accident extraordinaire, mais si au contraire celle cy faisait des progrès, la face présentait un aspect particulier les yeux s’entouraient  d’un cercle plombé et étaient à demi fermés; la langue devenait aride et sèche; les dents se revêtaient d’un enduit brunâtre; la prostration était à son comble, il y avait stupeur ou rêvasseries, quelque fois délire violent dans les cas qui se sont terminés d’une manière funeste, les malades rendaient involontairement les urines et leurs déjection; leur membres étaient agités de mouvements convulsifs, leur bouche restait béante, les yeux tournés, immobiles, le pouls intermittent

            La toux qui a affecté presque tous les malades, vers la 2ème période de leur mal, était grave et suivie d’une expectoration muqueuse peu abondante, elle ne s’est jamais accompagnée de douleurs costales ni thorachiques (sic) n’y d’aucun épiphénomène inquiétant. J’ai remarqué sur aucun d’entre eux ni exanthèmes, mais j’ai rencontré des escarres aux parties sur lesquelles repose le corps, ou résultat de l’application des Sinapismes ou des vésicatoires. Les déjections vermineuses sont également survenues fort rarement.

            A la série des synctômes (sic) cy dessus énumérés, à la gravité des accidens qu’ils ont suscités, on ne peut méconnaitre la fièvre muqueuse maligne, également connue sous le nom de Dithyentérie, de fièvre typhoïde, maladie qui attaque les tempéraments lymphatiques nerveux, l’enfance, le sexe féminin, les santés détériorées et à la quelle prédisposent les affections morales tristes, les saisons froides variables les eaux bourbeuses, prises en boisson, une alimentation grossière, condition où se sont retrouvés et aux causes auxquelles ont été soumises les habitants de Sauto qui, jusqu’ici, en ont été entrepris.

            L’opiniâtre résistance qu’affecte souvent cette maladie contre les secours thérapeutiques les plus variés a fait tenter contre elle diverses médications, en ces derniers temps, quelques auteurs ont préconisé le traitement purgatif; ils l’administrent dès son début pour le continuer jusques a parfaite guérison ; ils le prescrivent même indifféremment lorsqu’elle s’accompagne de diarrhée ou de constipation. je ne conseille point de la méthode aussi exclusive et préfères la médecine du symptôme. je fais concourir à la curation des malades divers moyens médicinaux, tenant compte de l’age, du sexe, de l’hydio sincrasie, et de l’état particulier de chacun, lorsque la maladie est légère, je la laisse marcher en l’observant avec soin, pour parer aux accidents qui pourraient survenir. Dans les autres cas, j’ai recours aux saignées générales ou locales dont il ne faut cependant pas abuser, à cause de l’innervation qui prédomine dans le genre d’affection qui nous occupe, suivant l’état de la fièvre ou la turgescence des sujets, (… illisible) (?) trouvent leurs a propos lorsque l’irritation sanguine est modérée, soit pour déblayer les premières des matières saburrales qui les engouent, rétablir la transpiration ou l’effet salutaire des vomissements, survenus spontanément dès l’invasion de la maladie chez quelques individus, ne laisse point de doute sur l’emploi de ce moyen recommandé dès les temps les plus reculés, suivant l’action de cet évacuant, et la nature des matières qu’il a fait rejeter un purgatif neutre est souvent convenable à sa suite, et est même répété suivant les besoins. Après cette médication préparatoire, pour ainsi dire, viennent les adoucissants, les mucilagineux, les anti spasmodiques qui bien tôt sont remplacés, lorsque la maladie s’aggrave, par les révulsifs cutanés ou intestinaux. on réserver les antispasmodiques forts pour remédier aux troubles céphaliques et réveiller l’énergie du système nerveux. On se sert aussi des lavemens simples pour remédier aux douleurs d’entrailles ou à la diarrhée des applications émollientes seules ou camphrées en cas de météorisme, on prescrit également des bains simples ou savonneux, pour tempérer la chaleur ou agir comme révulsifs.

            Les toniques ou excitants ne sont employés que quand les symptômes de réaction ayant cessé, les malades se trouvent dans un état de faiblesse qui ne peut se dissiper par les seuls efforts de la nature. Ce genre de médicaments, ainsi que les analeptiques doivent encore être continués pendant la convalescence qui est généralement longue et pénible, à cause de la modique fortune, aussi bien que de la nature des aliments dont se nourrissent les habitants de ce pays.

Quoi qu’annuellement des épidémies se manifestent dans quelque partie de nos montagnes, par suite des privations ou les réduisent les mauvaises récoltes, de la mauvaise tenue des logements des gens d pays ou du peu de soins qu’ils prennent de leur santé souvent nous apprécions avec justesse les causes délétères ou toxiques qui les leur ont occasionnées, mais il y aurait tellement à faire pour les en mettre à l’abri et en empêcher le retour que les réclamations que nous présentons dans ce but, ne peuvent avoir leur effet, j’espère être plus heureux en cette circonstance.

            D’après l’opinion que j’ai émise cy avant, que l’usage de l’eau sale, boueuse et presque croupissante dont les habitants de Sauto s’étaient servis dans le cours de cet été avaient pu altérer leur santé; que la position malheureuse est la profession de plusieurs d’entre eux, avaient pu favoriser le développement de la maladie qui sévi parmi eux eux je crois  qu’il est instant dans le but de prévenir l’extension, d’inviter M le maire de cette localité à faire observer dans les maisons de ses administrés  et leur attention, toute propreté possible de faire écarter de leur enceinte les tas de fumier et de matières végétales en décomposition qu’il y tiennent amoncelées, de faire entretenir les étables des bestiaux avec plus de soin…(…) de tout bien être possible, à les changer fréquemment de linge, à ne pas se servir pour les autres membres de la famille des mêmes couvertures ou des vêtements qui auraient été à l’usage des malades, à écarter des appartements de ceux cy les dépôts de provision ou d’effets qui n’y sont pas nécessaires.

            Pour coopérer au traitement des alités, ainsi qu’au rétablissement des convalescents, l’autorité administrative devrait accorder quelques secours aux familles pauvres tant pour se pourvoir de médicaments que pour leur procurer une bonne alimentation, elle devrait aussi leur distribuer un peu de vin, affin d’atténuer aussi les mauvaises effets de l’unique boisson dont elle se sert en attendant que la saison des pluies et du froid viennent changer sa qualité en augmentant son volume.

Voici le nom des maisons les plus nécessiteuses qui ont été signalées à Sauto, au moment de ma visite et celles qui ont le plus pressant besoin de secours, à cause du nombre de malades qu’ils ont en traitement ou des pertes qu’ils ont éprouvées depuis l’invasion de l’épidémie :  Blanc Emmanuel, Bonnavent jean Antoine, Ribeil Pierre, Rigola Jacques, Blanc Pierre.

            Il doit inévitablement y en avoir d’autres au moment actuel, dans la catégorie cy dessus, attendu que lors de ma visite de nouvelles catastrophes étaient imminentes. Pour détruire la cause probable de la calamité qui afflige présentement la commune de Sauto et en prévenir le retour comme aussi pour répondre aux besoins de cette population malheureuse, l’administration départementale ferait une chose juste et équitable en venant à son aide pour amener au milieu d’elle une fontaine d’eau vive qu’elle désirer posséder depuis bien longtemps mais que des faibles ressources municipales ne lui permettent point de construire, à une demie lieu au dessus du village, il existe deux ou trois sources qu’on considère comme généralement de fort bonne qualité et qui ne tarissent jamais, chacune d’elle n’ayant pas un très fort volume, on devrait les réunir pour les conduire ensuite au point le convenable du lieux. Les travaux pour mener cette entreprise a bien nécessiteraient une assez forte dépense la commune offre de s’imposer extraordinairement à cet effet, mais sent le besoin d’une subvention du département, ce projet intéressant grandement la salubrité de Sauto, et la santé de ses habitants, je me joins à leur sollicitation, M le sous préfet, pour vous prier d’intervenir auprès de l’autorité supérieure du département pour qu’elle fasse droit à leur juste demande.

            Dans cette attente, j’ai l’honneur d’être, monsieur le sous préfet, votre très dévoué et très humble serviteur

Signé Barrera, médecin des épidémies

1. voir sur ce thème Marjorie et Marie-Pierre Laurens, “Les commissions sanitaires dans les arrondissements de Céret et de Prades (1821-1930), in Jean-Marcel Goger et Nicolas Marty, Cadre de vie, équipement et santé dans les sociétés méditerranéennes, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 2001, p. 83-86 [↩]
2. sans aucun doute le mois de septembre 1849 [↩]